Commissaire de la marine

Le sous-commissaire de la Marine Deschard, dans son article « Notice sur l’organisation du commissariat de la marine française depuis l’origine à nos jours » a publié dans la Revue Maritime et Coloniale en 1878 et 1879 (respectivement tome LIX p 472-511 et tome LX p 228sq. et 335sq.), article qui peut être considéré à juste titre comme la première histoire du Commissariat de la Marine, fait remonter les origines de ces officiers à une lettre patente de François 1er du 24 octobre 1534. Henri IV, Mazarin, Louis XIV étaieront leurs fonctions. Le règlement du 6 octobre 1674 institue le commissaire général « intendant de la justice, de la police et des finances de la Marine ». A la conquête du pouvoir, certains de ces hommes entameront un combat stérile pour la Marine contre le chef militaire qu’est l’amiral, le financier bloquant l’action du militaire. Cette période est connue comme celle du « duel de la plume et de l’épée », appellation sans équivoque. Le problème sera véritablement résolu par Bonaparte, alors Premier Consul, avec son arrêté du 7 Floréal an VIII, instituant les fonctions de Préfet maritime, et donnant la prééminence à celui-ci à l’instar des préfets de département. Le commissaire général est néanmoins l’ordonnateur secondaire du port, c’est à dire qu’il est le seul à pouvoir présenter les factures de la Marine de l’arrondissement aux services du Trésor. De plus, il est également seul juge de l’opportunité de la dépense et on verra à Brest le commissaire général Guichon de Grandpont refuser à l’ingénieur général, directeur des Constructions navales, l’achat d’une chaudière pour la raison qu’il en existait une, inemployée dans le port.

Jusqu’à la fin du XIXème siècle, il n’existe pas à proprement parler de corps du commissariat mais des fonctions de commissaire. Dans le projet de décret du 14 mai 1853 (cf. « le journal brestois L’Océan », édition du 18 mai 1853) présenté à Napoléon III, Théodore Ducos, ministre de la Marine, détaille les fonctions de commissaire : tout d’abord sous le nom de commissaire aux classes, ils sont présents dans les ports et chargés de mettre en application la législation mise en place par Colbert, l’Inscription maritime. A ce titre, ils paient des avances de solde aux épouses et aux mères quand le mari ou le fils est en mer et qu’il a « délégué ». Ils sont chargés également du recrutement des équipages au profit de l’État, les fameuses « classes » qui font que chaque inscrit maritime doit un temps de service à l’État. En contrepartie de cette contrainte, le chef du quartier gère les « Invalides », premier système de protection sociale dont bénéficie le marin bien avant la Sécurité sociale. Le service des Subsistances assure l’approvisionnement des denrées destinées au marin tant à bord que dans l’arsenal ou outremer. De manière plus annexe, ce service est chargé de l’administration et de la direction des bagnes. Il a aussi dans ses attributions l’administration du personnel médical et des hôpitaux maritimes jusqu’à la création du Service de Santé de la Marine, (les infirmiers sont souvent des anciens bagnards, voir du personnel détaché du bagne). Le service des Revues assure le paiement de la solde et la liquidation des pensions. Comme il ne saurait être question de payer quelqu’un qui n’est pas présent, il est également chargé des effectifs. Ces deux services vont constituer le noyau de ce qui va devenir le Service du Commissariat de la Marine (et par conséquences du corps) dont le commissaire général reçoit déjà le titre de directeur. Enfin, le commissaire peut assurer ses fonctions à bord d’une unité ou au sein d’un état-major embarqué. Il a alors, privilège exorbitant et unique, à sa disposition des traites sur le Trésor pour financer les dépenses d’escale. Le payeur du corps expéditionnaire au Mexique aura recours aux facilités du commissaire de la marine à Vera Cruz, étant démuni de tout numéraire pour payer la solde et l’alimentation des troupiers dès le 2ème mois de campagne !

D’autres fonctions sont tenues par des commissaires mais sous l’autorité du Directeur des Constructions Navales jusqu’en 1925 où les Approvisionnements de la Flotte rejoindront la Direction du Commissariat. Chargé d’approvisionner tous les produits autres que les munitions et l’alimentation, ce service a en charge les combustibles (charbon puis mazout), les bois, les fers et les non-ferreux, le matériel nautique comme les filins et les chaloupes, le matériel scientifique de navigation (sextant, théodolite …), des matériaux très modernes pour l’époque (matériel électrique, caoutchouc …), le matériel de santé, les ciments et les pierres, mais aussi le mobilier nécessaire, l’habillement, le couchage. Il perdra ses compétences spécifiques à partir de 1925 pour ne rester qu’un service d’approvisionnement général.

Au cours du temps, la terminologie changera, on passera du commissariat de la marine à l’intendance maritime au gré des républiques, puis on retrouvera les termes initiaux avant de succomber au 1er décembre 2009 aux affres de l’inter-armisation. Les fonctions évolueront également puisque les commissaires aux classes prendront leur indépendance sous l’appellation d’administrateur de l’inscription maritime puis des affaires maritimes. Le droit de la mer, cher à Hugo de Groot, ressurgissant du passé en raison d’escadres nucléaires armées de missiles, mais aussi des nombreuses pollutions marines, de la recrudescence du terrorisme et de la piraterie, on retrouvera des commissaires conseillers juridiques de l’E.M.M. et des préfets maritimes, dans la délégation française à l’O.N.U. pendant plus de 15 ans ou encore escaladant les conteneurs des navires de commerce pour vérifier la régularité de leur cargaison avant de faire du quart en passerelle. D’autres seront membres d’état-major interalliés, au S.H.A.P.E. par exemple. On en a même trouvé un, constructeur d’une Académie navale pour le compte de la marine ivoirienne, et à qui on avait proposé d’être le contrôleur financier de la Basilique de Yamoussoukro !
 

Un peu de terminologie et quelques chiffres.

Sous l’Ancien régime, les jeunes gens de bonne famille achetaient leur charge, mais les résultats ne furent pas toujours à la hauteur des espérances. On fait ses premières armes comme écrivain, à terre ou à la mer, les fonctions n’étant pas très différentes de celles décrites dans l’Ordonnance de Colbert. L’écrivain est donc le notaire du bord, celui qui note et enregistre tout, (il tient également le journal de bord). Il est responsable du matériel et de sa disponibilité. Puis le candidat passe commis de la Marine qui peut être aussi « entretenu » c’est à dire « de carrière ». Après plusieurs années, le doigt de Dieu s’étant posé sur vous, on passe enfin aide-commissaire, sous-commissaire (l’avancement est en général lent : le Brestois Broquet, officier de la Légion d’honneur est resté 35 ans à ce grade !), commissaire puis commissaire en chef et éventuellement commissaire général. Jusqu’à la fin du Second Empire, les commissaires généraux peuvent être commandant des services de la Marine dans les grands ports de commerce (Le Havre, Dunkerque, Nantes, Bordeaux, Marseille). Ils ont à leur disposition des services financiers, des manœuvriers pour prendre en charge les navires de l’État en escale, des services d’achats pour passer des marchés pour compléter ceux passés par Paris ou les ports militaires. Enfin ils seront chargés de trouver des navires à affréter lors des grandes opérations militaires (Crimée, Baltique, Chine, Mexique).
A partir du décret du 14 mai 1853, les commissaires de la marine seront recrutés par concours et devront être titulaires de la licence en droit. Il y a 429 commissaires en service (aujourd’hui ce nombre est réduit de moitié), y compris pour les 86 quartiers des affaires maritimes et les 15.000 inscrits maritimes. On va leur adjoindre 220 commis qui vont faire fonction d’aide-commissaire. On passe indistinctement de l’Inscription maritime aux fonctions de commissaire embarqué, d’un service de l’arsenal ou outremer. Sous le Second Empire, un commissaire général peut gagner jusqu’à 10 000 francs et un commissaire 5 000 francs. L’amiral Guesdon, préfet maritime à Brest, confiera trois fois l’intérim de ses fonctions au commissaire général Guichon de Grandpont pendant que se déroulaient les opérations de transport de la campagne du Mexique.