~Pélerinage aux sources
Je naquis avant terme et si faible que pendant deux mois on crut que je vivrais pas. Notre servante Maud vient dire à ma mère qu’elle avait un moyen sûr de savoir mon sort. Elle prit une de mes petites chemises, alla un matin à la fontaine sacrée et revint la mine resplendissante:
-« Il veut vivre, il veut vivre: » cria t-elle, » à peine jetée sur l’eau, la petite chemise s’est soulevée ».
C’est Renan qui rapporte ce « miracle », Renan qui, en son temps, avait semait l’épouvante dans les séminaires. Ce prodige était l’illustration de l’une des trois vertus des fontaines dites sacrées et qu’il convient, comme le disent les sociologues, d’appeler plus justement les « fontaines à croyance et pratiques » (F.C.P.). La plus célèbre des F.C.P. est, nul n’en doute, à Lourdes. Les deux autres vertus attribuées aux sources sont le pouvoir de guérir et celui de protéger. La Bretagne, plus spécialement le Finistère Nord, compte autant de fontaines « miraculeuses » que le reste de la France. Comment pratiquer ce culte des eaux? De trois façons, par immersion de tout ou partie du corps, par application de linge trempé, et surtout, par absorption, comme une boisson.
Fontaine de la Trinité (Morbihan): cette discrète fontaine à l’architecture fort bien équilibrée se trouve à quelques centaines de mètres de l’église paroissiale, rare et bel exemple d’architecture romane en Bretagne, où se trouve une remarquable statue du Père, du Fils, et du Saint Esprit. On se rend à la fontaine en procession le dimanche de la Trinité, jour de pardon.
Le docteur H. J. Turier, bien connu des sociétaires, a passionné une trentaine de ceux-ci le 11 décembre 2014 au C.O.M. (Centre des Officiers Mariniers) en leur apportant ce qu’il a appelé son pèlerinage aux sources, s’appuyant sur de nombreuses photographies des hauts-lieux de cette religion populaire. Les F.C.P. sont des constructions affectant dans leur architecture un des trois styles, roman, gothique ou Renaissance, sous les formes les plus variées, du simple trou d’eau entre quatre dalles au pied d’une croix rudimentaire jusqu’aux riches petits temples gréco-romains, fontaines à voûtes et fontaines à fronton, selon qu’elles sont sous un toit ou à ciel ouvert.
Vin d’honneur
Une question brûlait les lèvres des auditeurs: efficacité ou voeux pieux? Quelles ont les propriétés réelles de ces F.C.P.? Réponse: aucune propriété, c’est lui ou elle qui les a. Qui lui, elle? Le saint ou la sainte auxquels ces eaux sont dédiées, le saint ou la sainte dont la statue presque toujours est sculptée sur le fronton. C’est à eux que s’adressent les demandes de guérison, de protection, de prévision de l’avenir. Et le conférencier, assez facétieux, de comparer les gorgées d’eau sacrée (qui ne l’est pas) aux vins d’honneur que l’on boit en levant son verre à la mémoire d’un ami. Ici c’est à la mémoire de l’heureux bénéficiaire, pensionnaire pour l’éternité du firmament:
-« Toi là haut qui est si bien, dans ton ciel, fais quelque chose pour moi. J’en ai besoin ».
Un autre écrivain breton, moins sulfureux que Renan a chanté les sources, Anatole Le Bras:
-« Comment ne pas attribuer des pouvoirs surnaturels à une fontaine qui sourd et s’épanche dans les près, dans les champs, et les clairières, qui jaillit même du roc, fraîcheur et vie.
Et en ce point d’orgue de cette étude un troisième Breton, beaucoup plus connu en Bretagne, emboîte le pas à ses deux compatriotes.
– « Dites vous bien que le miracle c’est vous qui l’apportez avec vous. L’eau de la source fait le reste. » Il s’agit de Jakez Hélias, l’auteur du « Cheval d’Orgueil ».
Un vin d’honneur (pas une eau d’honneur) compléta cette belle conférence. Chacun des assistants leva son verre à la santé des présents, à la mémoire des absents et à la longue vie de la section du Finistère Nord.
H.J. Turier, Brest, décembre 2014