Conférence « Le radeau de la Méduse » prononcée par le Docteur Henri Turier
Le 15 décembre une trentaine de membres de la section du Finistère Nord sous la houlette de son président yves Guyader s’étaient donné rendez-vous au cercle de la Marine à Brest pour une conférence faite par le Docteur Henri Turier. Thème: « Naufrage et agonie. Le radeau de la Méduse ».
Rares sont les mots qui ont une consonance aussi péjorative que celui de naufrage, terme marin, passé dans le langage courant pour signifier désatre. La grande majorité des fortunes de mer désastreuses, on les éfface de nos mémoires comme si l’imaginaire collectif voulait jeter un voile pudique sur ces accidents passablement honteux. Ce n’est pas vrai des deux naufrages qu’a évoqué le conférencier, aussi célèbres l’un que l’autre, mais pour des raisons diamétralement opposées.Le christianisme n’aurait pas pu voir le jour sans le sauvetage de deux rescapés d’un voilier qui s’était échoué au large de Malte. Leurs noms: saint Luc et saint Pierre en 60 de notre êre. Quant au second naufrage survenu 17 siècles plus tard il est à l’origine d’aucune nouvelle religion, mais d’un scandale retentissant, révélé non par l’action judiciaire qu’il a entrainé, mais par un chef d’oeuvre pictural: le » Radeau de la Méduse » de Géricault, qui a voulu courageusement en faire une croisade pour la « défense des droits de l’homme » comme on dirait de nos jours, n’hésitant pas ce faisant à rappeler une des dates les plus sombres dans les annales de la Marine.
En même temps qu’un récit détaillé des circonstances du drame nautique l’orateur a voulu mettre l’accent sur le calvaire des occupants d’un radeau fait avec les moyens du bord aprés la catastrophe, un radeau considéré comme une planche de salut pour ceux qui n’avaient pas eu droit aux canots de sauvetage de la Méduse, 150 passagers entassés sur un « caille-botti » tanguant et roulant, qui a été en réalité un mouroir flottant. Les secours ne sont arrivés que 15 jours aprés. Il ne restait que 15 rescapés, 15 jours dans des conditions hallucinantes de lutte pour la vie, que Darwin préferait appeler » survivance du plus apte » où pouvait se vérifier l’adage » L’homme est un loup pour l’homme ».
Requiem
Cette tragédie avait tout pour défrayer la chronique et elle l’a fait, à l’instar de l’affaire Dreyfus où là aussi se sont mêlés le politique et l’humanitaire. On devine les réactions des contemporains dans tous les milieux y compris celui des autres peintres. Violement critiqué par les conservateurs comme Ingres, et adulé par les « novateurs » comme Delacroix. Aprés une traversée du désert de plusieurs années et un exil à Londres, le tableau géant a trouvé sa place légitime au musée du Louvre, tel un monument dédié à la centaine de péris en mer, illustrant la formule » Le meilleur tombeau des morts, c’est la mémoire des vivants ».
Henri Jean Turier