Finistère nord la profession de foi d’un Leonard d’aujourdhui

Da garet hon eus gret
Broc’hall beteg mervel
Nous t’avons aimée France
Jusqu’à mourir

 

Finistère Nord, ce toponyme départemental assez disgracieux, hérité de la Révolution puis d’une bipartition administrative, occulte ce qui fut un territoire d’une remarquable, pour ne pas dire extraordinaire unité : le Léon qui fut d’abord un comté puis un diocèse, obsolètes l’un et l’autre aujourd’hui. Mais cette référence religieuse et féodale ne suffit pas pour expliquer l’unité de ce demi-département. L’étymologie du mot « Léon » n’a rien à voir avec le « lion de sable » du blason. C’est une contraction de « Legio » (Saint-Pol, siège de la cathédrale, fut un « oppidum », c’est-à-dire une place forte de légion romaine). Admirons au passage l’homonymie bienvenue avec notre ordre national.

Unité multiple du Léon ! Unité géographique tout d’abord, notre Léon est une quasi péninsule, cernée par la Manche, l’Atlantique, la rade de Brest prolongée par l’estuaire de l’Elorn, la rivière de Morlaix et la première crête de la montagne de l’Arrée. Autant qu’un plan d’eau, cette montagne est une barrière. Peu élevée mais très étendue (14 km), elle était pratiquement infranchissable avant l’ère du goudron et de l’automobile. Pour un Léonard, Quimper était aussi éloigné de Saint-Pol que de Paris. Par contre, la rivière de Morlaix n’était en rien une coupure tant le Trégor est frère en esprit du Léon.

Unité linguistique aussi, et si on parle breton dans les quatre diocèses, la langue du Léonard est plus « ample » (« Brezonneg ledan ») que les autres beaucoup trop « rapides » et « nerveuses ».

Unité religieuse : nul autre département français ne compte sur son sol autant de chapelles, de croix votives, de sources sacrées. En dehors des assises d’une religion plus populaires que théologiques, le Léon n’a-t-il pas été par excellence la « terre des prêtres » ? Même si depuis les années 1950, les vocations ne sont plus ce qu’elles avaient été, tant dans les ordres réguliers ou séculiers, masculins ou féminins, on ne peut enlever à ce pays son imprégnation religieuse : « Foi et Bretagne sont frère et sœur ». 

Unité morale et psychologique : outre ce sentiment religieux propre aux Léonards, en particulier chez les anciens, une tendance au repli sur soi, une pudeur sentimentale est incontestable. Il reste des bornes à ne pas franchir : trop grand, trop beau, trop riche comme le soulignait Louis Elegoet. Ce qui explique peut-être l’absence de création de grandes entreprises lors des révolutions industrielles. Le Léonard reste « dur à toute peine sauf à celle jugée intolérable » et « Là où l’eau est la plus silencieuse, c’est là qu’elle est la plus profonde ».

Unité patriotique. Si le Léon a longtemps été un vivier de vocations sacerdotales, il est toujours un réservoir de défenseur de la patrie. Sur le monument aux morts de Plozévet, on peut lire : « France nous t’avons aimée jusqu’à en mourir ». Mais à côté de cet impôt du sang, la Marine et les Troupes de Marine ont trouvé dans le terreau léonard une part importante de leurs effectifs. Les saignées des deux conflits mondiaux ont été l’occasion d’une pluie de « croix des braves », fut-elle parfois à titre posthume. Avec son port militaire, Brest a procuré une troisième source de recrutement avec l’arsenal, « Liens mystiques » comme le relevait Yves Le Gallo, entre la ville, sa marine et son arsenal, mais là, on sort un peu du Léon traditionnel.

Bretagne éternelle, tradition : mots magiques pour les touristes de plus en plus nombreux. Avant, on n’en parlait pas mais on vivait, on était la tradition. Aujourd’hui, on en parle beaucoup et le fest-noz devient de plus en plus touristique. Dans les villes et les campagnes, on a vécu au pas lent des chevaux. Désormais on évolue à l’allure toujours plus trépidante de la voiture, du rail ou de l’avion. Un vent nouveau s’est levé et la montagne de l’Arrée n’est plus une barrière pour le Léonard qui se rend désormais facilement à Quimper, Paris, Londres ou Dublin. Ce grand vent de modernisme a balayé les obstacles naturels tout comme les limites des diocèses ou des départements. C’est l’uniformisation dans tous les domaines. La forte identité de notre Léon n’est plus aussi marquée et seuls les anciens entretiennent la flamme. C’est toute la Bretagne dans son ensemble qu’il faut considérer. La langue bretonne populaire ne cesse de décliner au profit d’un breton académique et universitaire récent qui fleurit sur tous les panneaux de signalisation bilingues. Sic transit, les uns partent, les autres arrivent mais culture et patrimoine persistent et n’ont jamais été autant illustrés que depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’Institut culturel de Bretagne a ranimé, pour la promotion et la diffusion de l’histoire, de la littérature et de la langue bretonne, l’Ordre de l’Hermine institué il y a plusieurs siècles par le duc de Bretagne. Passé et modernité se rejoignent en point d’orgue.