La tentation a été grande de choisir comme titre « ouvrier de l’arsenal » mais il n’aurait pas reflété la réalité historique, toute la diversité et l’évolution des statuts de ces personnels. Même les documents officiels, comme les recensements brestois, n’utilisent pas ce terme mais celui d’ « ouvrier du port », puisqu’il est bien connu qu’il n’y a qu’un seul port à Brest, le port militaire en l’occurrence !
L’arsenal constitue une véritable ville où toutes les professions sont représentées : celle du bâtiment, de la mécanique, de la sidérurgie et de la métallurgie, de la logistique, de l’administration, de la santé et même celles des métiers de bouche avec les boulangers et les bouchers du Service des Subsistances. Au cours du temps, les métiers traditionnels comme charpentier ou calfat se sont vu concurrencer à partir du milieu du XIXème siècle par des professions plus modernes comme mécanicien, ajusteur, riveteur, mouleur… ou scaphandrier et électricien sémaphoriste. Puis on passera de la chauffe au charbon à celle au mazout, et tout récemment l’électronique et le nucléaire feront leur apparition. Si pendant longtemps, le contremaître avait obtenu son bâton de maréchal, une nouvelle hiérarchie apparaît dans la maîtrise avec les agents techniques et les ingénieurs des travaux (IDT).
On peut travailler de manière occasionnelle « au port ». On est alors journalier pour quelques jours comme pour plusieurs dizaines d’année, mais avec un statut précaire. Pour la majorité d’entre eux, ils sont originaires des communes avoisinantes de Brest où ils résident d’ailleurs, plus rarement des autres départements bretons et tout à fait exceptionnellement des autres régions de France. On peut aussi travailler de manière plus stable au port. On commence, comme dans le civil, fort jeune comme apprenti, puis on devient ouvrier, adjoint chef ouvrier, chef ouvrier, aide contremaitre, contremaitre adjoint et enfin contremaître. Mais il n’est pas possible d’atteindre ce rang sans être passé par les cours de l’Ecole de Maistrance. On peut prétendre alors être « entretenu » c’est à dire à obtenir la mention équivalente à celle « de carrière » pour les sous-officiers ou officiers mariniers. On peut alors accéder au rang de premier-maître et de maître-principal qui comporte plusieurs classes.
Il faut faire une mention spéciale pour les professions traditionnelles de charpentier, calfat, voilier et perceur, dites « classées » c’est à dire soumises aux règles de l’Inscription maritime instituée par Colbert. En effet, ces ouvriers bien que civils, sont inscrits maritimes et peuvent être amenés à embarquer sur des bâtiments pour des campagnes ou des opérations si le besoin s’en fait sentir, en raison de déficit de personnel dans les équipages de la flotte. D’autres civils embarquent régulièrement : les commis aux vivres et les distributeurs des Subsistances, les mécaniciens et les chauffeurs. Ces professions seront militarisées à la fin du Second Empire et apporteront aussi leur lot de légionnaires.
L’artillerie de Marine, comme le Génie dans l’armée de terre, a aussi ses ouvriers. On peut y faire son service militaire (7 ans sous Napoléon III !) et ces compagnies d’ouvriers accueillent souvent des ouvriers spécialisés originaires de régions sidérurgiques, comme la Lorraine ou l’Allier, et beaucoup d’entre eux « marieront une Bretonne » et feront souche à Brest. La carrière se conclut en général pour les meilleurs, par des fonctions de garde de parc d’artillerie ou de matériel du Génie, professions bien considérées et bien payées, requérant des hommes de confiance. Certains choisiront même la voie administrative et deviendront officier d’administration. Ces compagnies d’ouvriers du Génie ou de l’Artillerie paieront parfois un lourd tribut à la France, par exemple lors des sièges de Sébastopol ou de Paris en 1870, creusant les tranchées ou maintenant en service les pièces sous le feu de l’ennemi. Il n’est donc pas étonnant de trouver plus de légionnaires dans ces catégories.
Sous le Premier Empire, l’ouvrier militaire de l’arsenal porte un seyant uniforme bleu foncé, passepoilé de rouge, doté d’un shako et d’un sabre briquet qui le fait cousiner avec l’infanterie de Ligne. Sous le Second Empire, l’arsenal de Brest, une des plus grandes usines de France, a comporté de 6 000 à 8 000 ouvriers. La stabilité géographique a été le plus souvent la règle mais la mutation vers les autres ports de métropole ou des colonies était possible.
Contrairement à la légende locale, les préfets maritimes, en particulier sous le Second Empire (Laplace, Pellion, Guesdon..), ont toujours été attentifs à la condition sociale des ouvriers de l’arsenal, bataillant contre le ministre pour éviter ou réduire au minimum les licenciements (les salaires constituant la grande majorité des revenus de la population brestoise car on ne compte que 350 ouvriers civils à Brest !). L’amiral Laplace s’opposera au préfet du Finistère et ira jusqu’à interdire la propagande des agents électoraux de l’Empereur dans les ateliers de l’arsenal, autres temps, autres mœurs ! Yves Le Gallo parle de « contrat mystique » entre la ville, ses ouvriers de l’arsenal et la Marine, et comme dans un vieux couple, il y eut des heurs et des malheurs. Et les meilleurs surent être distingués de la plus haute décoration des ordres nationaux.