Pointe de Saint Mathieu « Est vrai ce que je crois vrai »

-« Connaissez-vous la « gwerz » de Saint Mathieu demande leur guide aux 40 et quelques sociétaires et sympathisants de la SMLH29N qui s’étaient réunis pour leur sortie annuelle à la Pointe Saint Mathieu ? »
Aucun ne connaissait et pour cause ce qu’est une « gwerz ». C’est un mot breton intraduisible.
On peut le rendre approximativement par complainte, récit légendaire, merveilleux. Invérifiable, mais qu’importe, « est vrai ce que je crois vrai » dit un proverbe mandarin. Vous vous direz peut-être que l’apôtre et le premier des 4 évangélistes n’a jamais mis les pieds sur cette « pointe Saint Mathieu ». Il a fait mieux il y a mis sa tête, son « chef » comme on disait naguère. En breton on dit « Loc Maze pen ar bed », mot-à-mot Saint Mathieu Bout du Monde (en non fin du monde comme le prétende ceux qui ont créé les départements français.) Oyez plutôt cette « gwerz ».
 
Il y a saint et saint
En ce temps-là naviguait toutes voiles dehors une barque en bois lestée d’une grosse pierre, pas tellement différente à tout prendre de celles qui quelques siècles plus tôt firent passer les peuplades d’Outre-Manche en presqu’île armoricaine et lui ont donné le nom de « Petite Bretagne ». Parmi ces émigrés la plupart de nos saints, immortalisés par les noms de tant de nos paroisses, nos PLOU, nos GUI, nos TRE, nos LOC, d’où notre « LOC MAZE ». Mazé ou Mathieu n’est pas un saint breton mais on l’a bretonnisé. Notre bateau ne naviguait pas entre les deux Bretagnes mais dans la « Grande Mer » (« Ar Mor braz ») comme on appelait souvent l’Océan Atlantique. A son bord six hommes, dont le patron et un jeune mousse. Ce dernier était chargé d’observer la route, l’autre tenait la barre. En apparence tout au moins. Une puissance supérieure était avec lui. En tout cas elle filait bon train la barque, cap plein Sud, longeant à bâbord toute le littoral de France, de Galice, de Portugal jusqu’à la « Grande Porte » -Pardon ! Oui les « Colonnes d’Hercule » de l’Antiquité gréco-romaine, la Gibraltar des Conquérants arabes. Et là on vire de bord. Cap au Levant…En avant, toute, dans la « Petite mer » mer sans marées mais non pas sans tempêtes.
 
Ce n’était qu’un rêve
Et en effet une tourmente d’une rare violence va mettre en triste état la barque armoricaine. Dieu ne les aidait donc plus ? Si mais ses voies sont insondables.
Toujours est-il que le bateau, drossé par les courants aborde dans un port d’Egypte dans un état lamentable, ses voiles en lambeaux, incapable de reprendre la mer si même cela pourra se faire Dieu seul le sait. Comment réparer de tels dommages. Du bois, du goudron, on en trouvera toujours, à Alexandrie, leur débarcadère, comme dans n’importe quel port, mais le chanvre, la toile c’est une autre affaire. Au matin du troisième jour que virent-ils nos six navigateurs ? Largement étalée sur l’arrière de la barque, la voile, la grand-voile qui n’était plus déchirée, mais réparée. Vous avez bien entendu : « réparée ».
Ce miracle avait été précédé d’un rêve, le même rêve pour les 6 marins : un homme, la tête auréolée de lumière. Mathieu qu’il s’appelait. Dans ses mains un grand coffret de cuivre ou d’or, précieux assurément. Il s’adresse à chacun d’eux.
-« Je suis Mathieu, c’est en Egypte que j’ai trouvé la mort. On m’a décapité et mon corps a été enterré pas loin d’ici. Mais je ne veux pas rester dans ce pays d’Infidèles. Vous venez d’une terre de prêtres et de saints. Amenez-moi chez vous, là où se trouve la dernière demeure de ces bons chrétiens. Quand vous vous réveillerez vous trouverez le coffret de ma dépouille et une voile réparée. Bon vent ! Que Dieu vous garde. »

Un rocher droit devant
Sitôt dit, sitôt fait. Chargé d’une si noble mission le patron et ses 5 hommes ne tardent pas à embarquer, à virer de bord, à mettre à la voile, une belle voile toute neuve et à rebrousser chemin. Les vents redeviennent favorables. La navigation de retour est rapide, le ciel est avec eux. Très vite apparaît dans le lointain quelque chose qui ressemblait à leur terre d’Armorique, la terre de leurs saints, précédés de récifs qui leur étaient familiers. Mais soudain leur barque semble courir à sa perte. Un cri du mousse se fait entendre – « Attention patron ! Vite, vite, la barre à gauche. Un rocher droit devant. » Encore un miracle. Tel Moïse devant les flots de la Mer Rouge, le bateau fend la masse rocheuse. Deux moitiés, une à bâbord, l’autre à tribord. Le patron ne perd pas son sang-froid. –« Vite, petit, prend la boite qui est à l’arrière, c’est un reliquaire tu le sais, et va au plus vite la poser tout en haut de la falaise à tribord dans la chapelle. On la voit d’ici. »
Tout est bien qui finit bien. Attendez ! Ce n’est pas fini. Les nouvelles vont vite. Afin de rendre hommage à ce « chef » apostolique aboutissement de ce transfert quasi féérique les curieux accourent. Et pas seulement les petites gens. Le roi de Bretagne (En ce temps-là il n’y avait pas encore de ducs) le roi Salomon vient à la Pointe, baptisée Pointe Saint Mathieu  (Salomon pour un bretonnant c’est Salaün)). Pour ne pas être en reste l’évêque du Léon, Paul, fit de même. On décida de fonder un monastère. Les reliques fournissent à tous les monastères une renommée toujours plus grande. Et le monastère devient abbaye et son premier abbé fut saint Tanguy. Comme autant de fleurons à une couronne dix prieurés vinrent entourer le haut lieu. Fin de la « gwerz »
 
Grandeur et décadence
Aujourd’hui, qui dira le contraire, le nom de « Saint Mathieu » n’évoque plus qu’une entité géographique, une pointe, voire un cap, un promontoire. Que s’est-il passé ? L’illustration de l’adage antique : la roche tarpéienne est près du Capitole. L’histoire de l’abbaye du Bout du Monde ne fut pas aussi heureuse que celle de la « translation » du « chef » de son saint patron. Pour 2 raison. La première est évidente : la mauvaise action de nos voisins de Bretagne la Grande acharnés depuis Aliénor d’Aquitaine à confisquer notre presqu’île armoricaine. Ils resteront nos mortels ennemis jusqu’à l’Entente Cordiale. C’est à eux que l’on doit la transformation du saint lieu en un champ de ruines. La seconde raison est plus étrange mais est bien connue des amateurs d’histoire des religions. Les vents tournent là aussi, comme sur les océans. Sous l’influence du tout puissant Concile de Trente, à la fin du moyen âge, le culte des reliques n’était plus de mode. La Réforme Catholique, ou Contre-Réforme du XVIe siècle a mis à l’honneur et véritablement sublimé la dévotion à la Vierge Marie. Que pèsent les 12 apôtres, qui sont pourtant les piliers de l’Eglise, à côté de la Reine des cieux, qui est aussi la Reine de la Paix, et surtout la Reine de l’Arvor, voire mère des Bretons à côté de sainte Anne leur grand-mère ?
Le pèlerinage au Folgoët, à Rumengol, à Lourdes ont détrôné à jamais ceux de Saint Mathieu. Adieu moines de Saint Mathieu
 
Requiem
La présence des moines manque maintenant à ce paysage sublime. En passant devant les ruines sévères on ne peut qu’emboiter le pas à Emile Souvestre et dire comme lui que leur présence manque, et dire qu’on regrette de ne plus voir quand la nuit descend sur la mer, et que le vent d’Ouest souffle dans l’abbaye désolée, de ne plus voir le feu tremblant des cierges brûler à travers les vitraux coloriés de l’Eglise  et de ne pas entendre les hymnes saintes s’élever tout à coup entre les soupirs de la mer qui bat le promontoire.
 
Brest le 29 mai 2016.                                                                                               H.J. Turier