Requiem pour un cavalier

« Et par saint Georges, vive la cavalerie ! ».
Qui dans l’armée de terre ne connait cette exclamation (en deux temps) qui retentissait sur les champs de bataille et toujours encore aujourd’hui dans les repas de corps à la gloire d’une armée pas comme les autres, les premiers en avant-garde, les derniers en arrière-garde. La cavalerie (reine des batailles…de l’avis des cavaliers) dont le cheval n’est plus qu’un symbole.

Pierre JORROT était un cavalier, doté de toutes les vertus de ce type de soldat, cavalier de corps et d’esprit, l’esprit cavalier. On reconnaissait très vite en lui une synthèse des qualités traditionnelles, l’élégance, la distinction, la courtoisie et surtout le panache. Il n’eût pas aimé qu’on le lui dise, sa modestie étant une autre de ses qualités, sans oublier sa coutume de plaisanter de tout.
Nous voici rassemblés, Pierre, tes confrères de la section du Finistère Nord, sous la houlette de notre président, André Le Berre, et derrière le drapeau tricolore timbré de l’étoile à 5 branches sous son ruban écarlate du premier ordre national pour lequel tu t’es tant dévoué. Adieu mon colonel. Ironie du sort ! Dans cette église paroissiale, ton église paroissiale où nous sommes cet après-midi, nous pouvons admirer là devant nous sous la croisée d’ogives de la voûte du chœur la maîtresse vitre. Elle nous montre la lance, la cuirasse et le dragon d’un frère d’armes du saint patron de la cavalerie, saint Michel, le chef des milices célestes. Il personnifie la lutte du Bien contre le Mal, celui-ci terrassé par celui-là.
Encore un dragon, mais des temps modernes, le général GENAUDIER, sous les ordres duquel Pierre a longtemps servi, a voulu donner une touche d’humour à un tableau qui risquait d’être trop sérieux.
N’attendez pas de moi un panégyrique. Pierre n’eut pas apprécié du tout ». Et le général de cavalerie de choisir dans ses souvenirs une anecdote facétieuse qui a réussi à dérider la pieuse assemblée, celle de la nef et celle du chœur en la personne du père abbé lui-même. Un tour de force dans une messe de requiem. Qui a dit que l’humour, c’était du beurre sur le pain sec de l’humanité ?

NOTRE DAME DE LA ROUTE
Cérémonie religieuse de « classe » au déroulement impeccable, digne de cet homme de foi et de pratique régulière. L’assistance, cela se voyait, n’était pas là pour faire acte de présence. Tout n’était que fleurs, chants, fumée d’encens, musique d’orgue. Moment le plus émouvant la montée au pied de l’autel du cortège des petits-enfants du colonel, porteurs de luminaires, cierges ou lumignons dont la flamme scintillante, symbole de Résurrection venait saluer le grand père tant aimé. Remarquable homélie du célébrant désireux de christianiser la douleur et la mort en les comparant à celle du Christ. Pas résignation mais espérance. Non sans émotion les anciens ont pu retrouver dans la dernière prière chantée, en latin, le Salve Regina des messes d’avant le concile de Vatican II. Pour la famille Jorrot, la Reine des Cieux était surtout la Reine de la Route, c’est à dire du voyage veillant sur les nombreux déménagements avec changement de résidence. Version mariale de saint Christophe. A domicile se trouve une statuette de Notre Dame de la Route.
Adieu JORROT. Repose en paix. Que la terre de Brest te soit légère. Mais qu’importe l’endroit, le meilleur tombeau des morts est la mémoire des vivants. Je sais que pour toi la mort n’est pas une fin mais le début d’une vie nouvelle. Sur le monument aux morts de Lesneven est gravé en lettres d’or cette sentence ô ! combien vraie :
« Tant que tu te souviendras je vivrai ». Adieu.

H.J. TURIER Brest 23 août 2015