On connait la réplique agacée du premier Grand Maître et fondateur de l’ordre de la Légion d’honneur à un conseiller qui lui demandait de réserver la prestigieuse distinction aux seuls militaires : « A aucun prix, je ne le ferai ». Bonaparte en effet tenait les vertus civiles pour bien supérieures à celles des militaires. Malgré son nom, le service de santé militaire pourrait abonder dans ce sens. Pourquoi ? Tout d’abord, de l’avis de tous ceux qui œuvrent sous le signe du caducée sur fond de velours amarante, c’est le moins militaire d’esprit. Ensuite et surtout, qui niera que sa mission est et a toujours été très particulière ? Ce n’est pas seulement conserver ou rétablir la santé du potentiel humain des forces armées par ses médecins et pharmaciens des régiments, des bâtiments ou des hôpitaux. Bien plus vaste est sa mission. Les paroles de Percy, un des premiers commandeurs de la Légion d’honneur, s’adressant aux jeunes et nouveaux chirurgiens de la Grande Armée en font foi : « Allez où la patrie et l’humanité vous appellent. Soyez prêts à servir l’une et l’autre avec le même intérêt ». Aujourd’hui encore, les devises des Ecoles de santé de Lyon et de Bordeaux sont l’écho de ces nobles phrases : « Pro patria et humanitate » pour les « Santards » et « Mari transve mare, semper hominibus prodesse » pour les « Navalais » où la référence au milieu tropical est évidente.
Il faut savoir qu’à l’époque de l’immortel Percy et des autres grands chirurgiens du Premier Empire et même du Second, le service de santé n’était ni autonome ni organisé. (Dans la Marine, il était administré par le service des Subsistances du Commissariat qui s’occupait aussi des Chiourmes). Il n’a pris son envol que dans les trois dernières décennies du XIXème siècle et il l’a fait dans tous les azimuts de l’art de prévenir et de guérir. Mais d’emblée, il s’est montré hybride, civil et militaire, ou militaire et civil pour respecter la chronologie. Outre sa raison d’être qui est bien sûr de servir les forces armées, il va se déployer dans la médecine dans toute sa globalité et en amont dans la recherche et l’enseignement. Si se tient en très bonne place la traumatologie, héritière de la « chirurgie des batailles », sur terre ou sur mer, elle est talonnée par l’épidémiologie (ou science des maladies contagieuses). Qui oserait dire que deux des fléaux de l’humanité que sont la peste et le paludisme ne doivent rien à Yersin et Laveran Que serait la maladie du sommeil sans Jamot ? Dans le florilège des pionniers, beaucoup de marins et de « Coloniaux ». La médecine navale a des lettres de noblesse aussi anciennes que sa consœur terrienne, surtout dans les maladies par carences ou à caractère exotique.
Obscurs ou illustres, ces praticiens de ce qui est à la fois un art et une science, issus de Lyon ou Bordeaux, passés par le Val de Grâce, à Toulon ou à Marseille, à Sainte-Anne ou au Pharo, ont été jugés dignes par leur mérites consacrés à la Santé de recevoir l’étoile à cinq branches en émail blanc sous son ruban écarlate du premier de nos ordres nationaux.
Un peu de terminologie
Au début du XIXème siècle, on commence le plus souvent sa carrière comme aide chirurgien auxiliaire, puis chirurgien auxiliaire. Alors on passe chirurgien major, grade qui comporte plusieurs classes. Bien de grands chirurgiens de la Grande Armée, comme Percy, exerceront ainsi leurs talents avant d’être reçus docteur en médecine, ce qui leurs confèrera alors dans les armées le titre de médecin major. Dans des périodes moins troublées, l’université accueillera les futurs docteurs en médecine du service de santé des armées. Il existe aussi un cycle court qui ne confère pas le titre de médecin, mais celui d’officier de santé. Ce fut par exemple le cas du Brestois Louis François Huau, inventeur de plusieurs instruments de médecine et assistant de Dupuytren. Dans la Marine, le médecin major est aussi le scientifique du bord, même si son art le fait encore parfois l’héritier des médecins de Molière par certains côtés. Il est chargé par exemple de faire les relevés journaliers d’une météorologie embryonnaire, des prélèvements d’eau de mer pour en étudier la salinité, base d’une océanographie balbutiante. On pourra consulter avec intérêts leurs rapports au Service Historique de la Défense à Brest. Notons enfin que ces médecins militaires n’ont jamais été avares de leur temps au profit des populations civiles en métropole comme en outremer. A Brest, le médecin principal Jules Cerf-Mayer reçut la Légion d’honneur pour son dévouement lors des épidémies de choléra.